Larvatus

« La démocratie comporte toujours une forme d'incomplétude, car elle ne se suffit pas à elle-même. Il y a dans le processus démocratique et dans son fonctionnement un absent. Dans la politique française, cet absent est la figure du roi, dont je pense fondamentalement que le peuple français n'a pas voulu la mort. La Terreur a creusé un vide émotionnel, imaginaire, collectif : le roi n'est plus là ! On a essayé ensuite de réinvestir ce vide, d'y placer d'autres figures : ce sont les moments napoléonien et gaulliste, notamment. Le reste du temps, la démocratie française ne remplit pas l'espace. On le voit bien avec l'interrogation permanente sur la figure présidentielle, qui vaut depuis le départ du général de Gaulle. Après lui, la normalisation de la figure présidentielle a réinstallé un siège vide au cœur de la vie politique. Pourtant, ce qu'on attend du président de la République, c'est qu'il occupe cette fonction. Tout s'est construit sur ce malentendu.»

Emmanuel Macron, Le 1 n°64, avril 2015.

 

 

 

J'écris sans savoir où je vais. C'est d'ailleurs une différence voire, un stigmate entre un être En Marche et un autre En Marge… Entre la marche forcée et la marge instable. Disons que la position de départ est celle de la veille critique vis à vis des lendemains qui déchantent. De la déconstruction du mythe face à la mythologisation en acte. De la touche pause sur la machine en branle. De la mise en garde contre le garde à vous. Prendre, une fois encore, le parti pris des mots contre le politicaillerie des partis et le prix à payer. C'est-à-dire et à répéter prendre aux mots la république en marche. La prendre aux pied de la lettre et du slogan, du verbiage, de l'enfarinage et du story telling et se retrouver (Macron manquant çoudain d'air), tel le maçon au pied du mur, le margeur au bord de la page, la nuance d'argile au creux de la table d'airain. La démocratie c'est la nuance, dit mon ami Pierangelo di Vittorio. Alors gardons une taupe dans le ventre, une chouette sur l'épaule et un esprit de concierge dans l'escalier. D'un mot, d'une phrase, d'un état d'un esprit faire soudain forme et boule de neige. Gestation d'éléphant au carré. Point barré. 

 

La plus grande des confusions s'est emparée de nos âmes. En cette époque indéfinissable où, comme l'écrivit Yves Bonnefoy “ la parole a été victime, et où ” Nous savons que nous souffrons mais nous ne savons pas toujours pourquoi ? " Sauf, peut-être, de la certitude que c'est la langue des publicitaires et des communicants qui ont gagné. Notre langue vivante mordu à blanc par leur langue morte. Notre sommes dans un état perpétuellement transitoire, et nous avançons dans notre temporalité comme des fantômes dans le brouillard. A l'heure où une élection démocratique met à la tête de notre république un véritable homme-produit du marketing spectaculaire qui chaque jour nous est servi sur le rebord de nos assiettes, j'ai ressenti le besoin fugitif et durable d'apaiser ces troubles pour retrouver sinon du plaisir dans la résistance des matériaux langagiers, tout du moins la nécessité impérieuse de mettre tout ce barnum à distance, et de lui administrer une critique poétique ayant pour conséquence principale sa vocabularisation. Une crise vocabulaire donc, alimentée par un refus instinctif de cette servitude volontaire, de cette soumission tacite et de cet adoubement médiatique auréolée par des mots détournés de leur sens. Un grand NON à l'idéologie du mouvement perpétuel et de la marche forcée. Un grand NON au détournement de la langue par les joueurs de flûte du merchandising politique. Un grand NON à la souffrance, à l'étouffement et au Macron-boarding donc ! Par voie de conséquence, un grand nombre de OUI au respect pour la liberté individuelle et sa modeste contribution à l'intelligence collective, à l'altérité que l'on devine, parfois, dans le tohu-bohu de l'Internet… Autant de OUI donc, à une certaine éthique de la langue poétique, qui est langage dans le langage et qui, avec Michel Leiris, est ce tangage qui tous, nous engage. Voir les maux sous les mots n'est pas toujours chose aisée. Mais au royaume des aveugles, les borgnes sont là. Il faudra peut-être écrire à la gomme ? Il faudra peut-être écrire à la loupe, à la serpe ou au clystère… Mais en tous cas faudra-t-il défier les maîtres, et tous ceux qui veulent tout maîtriser ; à commencer par leur image. Il faudra donc déchirer les images des mots et les mots des images. Il s'agit de refuser ce brouet qui nous est présenté comme de l'eau pure, et de nommer cette douce barbarie douce cachée sous sa pourpre révolutionnaire. Lutter contre un brouillage permanent qui, encore une fois, voudrait renvoyer nos esprits à du temps de cerveau disponible. 

 

Si, comme l'écrivait Yannis Ritsos “ le fond de toute chose est blanc ”, alors c'est qu'il existe encore de l'espace et du temps pour ralentir, et s'arrêter, sur le bord du chemin. C'est aussi qu'il y a encore de la marge pour parler là-contre ! Pour tordre, pour fissurer, pour déshabiller les Physiocrates. La marge - cette marge - essaiera donc durant les cinq prochaines années, d'être ce petit espace vertical et radical où se décantent les corrections, les remarques et les suggestions frontalement faites. Être en marge ne sera pas ici refuser d'être “ en marche ”, mais seulement refuser d'avancer sous la contrainte et de passer sous les fourches caudines d'une forme d'ubérisation du désir. Fut-elle symbolique, la pire des violence sourd toujours de l'état, quand la pudeur et la résistance surgissent de la conscience des individus. Or, pas plus que le beau temps, la vie éternelle ou le bonheur… la “ révolution ”, la “ modernité ” ni “ le mouvement ” ne se décrètent arbitrairement.  Avant d'être ceci ou cela on est citoyen. Et personnellement, aimer son pays ne signifie pas de regarder le doigt, le sage ou la lune, mais plutôt d'essayer de voir l'ensemble et d'en faire l'anatomie, aux deux sens du terme. Alors, que nous soyons en marche, soit ! mais vers où ? Eh bien, nous verrons ! 

 

Je ne te connais pas Larvatus. Je ne te connais pas mais je sais qui tu es. Chaque jour je te vois et chaque jour te dépeint en pied. Tu tombes comme les falaises en mer. Tu tombes à pic et tu crois que c’est le bon moment. Que tu es du bon côté. Que tu es par nature. Que tu es devenu mature. Que tu devais prendre la barre. Que le destin est faiseur de roi. Alors tu dis En Marche comme d’autres en route. En avant c’est-à-dire en arrière. Les premiers seront toujours les premiers. Tu dis en marche comme d’autres en voiture parce que c’est toi qui conduis et toi qui klaxonnes. Toi qui accélères toi  qui pousses toi qui change de vitesse toi qui décides et toi qui tout. Demi-premier du gouvernement. Demi-ministre de chaque ministère. En route en mouvement en mission mais vers où ça tu dis pas tu jamais et faut jamais dire jamais. En avant en arrière le pas suspendu en l’air ou en guerre ou quoi. En avant la marche militaire. En avant marche et se taire. Le silence dans les rangs. Le silence les enfants. Le maître a parlé le général commandé. Il remonte les Champs Elysées et s’envole sur son char saluer les armées. En marche ou crève la bouche fermée. Les lèvres de fer forgées. Les mots pris en tenailles serrées. En ferraille depuis l’orbe des oreilles jusque à l’os des chevilles. En marche l’eau à la bouche. La démarche de l’affable squelette. Du zombie qui se met à table. Du fantôme en toi qui se la raconte. Du haut de ton vaisseau qui embarque tout le monde qui emporte tout sur son passage à l’acte. Emmène embedded embobine emballe emberlificote embellit embaume et pas loin d’emmerde à la fin alors qu’on n’est qu’au début t’as vu.

 

Alors toi tu dis En Marche et en toute confiance. La vérité la tête et les jambes. Le serious game. La série télévisée. Le pain et les jeux en prime time et tu voudrais qu’on n’y voie que tu feu. La baguette et la merguez à la main. La putain de fête des voisins. Le temps l’espace et le désir confisqué plutôt crevé. J’ai pas de cerveau disponible pour toute ta publicité j’ai pas. Pas d’âme à laisser pourrir sous les travées de ton train en marche. Éducation Droit du Travail CSG t’es pas même arrivé que tu donnes désordre. Peine arrivé que tu commandes que tu demandes des efforts. Déjà toujours la même chose. Toujours le même sens. Tous les jours comme un seul. Le même mouvement. La même solitude. Les mêmes sacrifices et les mêmes sacrifiés. Les faibles sont faits pour trinquer. Les faibles ne finissent jamais banquiers. Parce que la faiblesse elle a toujours tort la faiblesse. Parce qu’elle est méprisable et que c’est toujours la force qui fait envie. La force la rapidité le mouvement la marche forcée. Le coup de la marche c’est le coup du lapin chapeau l’artiste. La vérité zombie qui avance toute seule. La vérité sans ombre qui illumine. La vérité goujate qui force le passage et grille la politesse à tout le monde. Elle a le style parachutiste ta démarche. Pas cadencés une/deux une/deux une/deux… Réveillez Maxime le Forestier Maxime. Parce que dis-donc ça dansait pas beaucoup beaucoup à ta fiesta mon p’tit gars. C’était pas vraiment la fête à Neuneu non plus. Pas le bal à Jo ni la teuf à Jeanne. Pas la révolution ni la libération rien que sublimation télévision et fantasme à la con de panthéonisation. D’ailleurs — attention procès d’intention que j’allume et assume en même temps — je sais pas pourquoi, mais je suis sûr que tu sais pas danser Larvatus.

 

Alors tu dis et tu répètes En Marche d’homme produit tel quel sorti de la cuisine de Jupiter. En Marche d’hommage individuel trop individuel rendu avec piétisme à la piétaille des mages et des images d’une autre époque. T’es fils d’un autre temps que ton temps. D’un autre même et d’un changement qui ne change rien à l’affaire. Calogero de l’apocalypse un ralenti. Pâle héro avec ta cape et ton épée. Pâle figure au milieu de ce sombre hiératisme. Grouillot marquant le pas au pied du grand verre fêlé du Louvre. La pyramide la mitterrandienne la belle figure. Le masque fissuré sous la voie lactée. La louve aux mamelles d’argile. La Gauche la plus fragile. Le mythe errant le grand fossoyeur le Belphégor du Socialisme à la française. Les as-tu vus les grands drapeaux en berne. Les rouges et les roses bernés. Le progrès social enchâssé dans le progrès économique. L’espoir des misérables qui a passé l’arme à droite. Le temps passe trop vite et toutes les ombres meurent au crépuscule. Alors toi tu dis En Marche la balle au centre. Entre les yeux bien visé. Le centre le milieu le mitan le médian le médiocre auraient dit les Anciens. C’est là c’est ça et ça nous ronge depuis 83 depuis 81 et depuis 71 t’étais pas né. Une éternelle et dernière pluie roule sur les joues de la classe ouvrière avec avidité avec acidité. Le vent dans le canyon de la mort. Le western carnassier et les roues des charriots qui tournent à l’envers. Les Indiens à genoux et le sens de l’histoire travesti. I need You Uncle blame. Le doigt sur la gâchette. Le canon sur la tempe. Il faut raser sa nuque camarade. Avoir le poil ras et les idées courtes. Yes Sir. Allez vite. Être bref. Encore toujours obéir. On le chantera plus tard tout ce qu’on n’a pas compris tout le prix qu’il faudra payer toutes les couleuvres qu’il va falloir avaler. Pour l’heure plus qu’une seule tête. Une longue file d’attente et une longue marche forcée. Longue force marchée avec la langue bien rentrée. Serrez les rangs serrez. Les dents les fesses et les gosiers. Avec l’échine et les reins pliés. Bombez le torse bombez ça c’est sa way ouais. Et puis qu’on souque ferme. Le mors aux dents la mort aux trousses la fleur au fusil la bite et le couteau. Assis couché debout Jacques a dit en marche et que ça saute. Levez-vous asseyez-vous agenouillez-vous taisez-vous et toi : tais-toi mais toi t’es qui au juste. Là le lait derrière les oreilles. Là le laid derrière la façade Paris Matchée. Derrière le pari gagné. Les gains accumulés et le concentré Nestlé à savoir, excusez le verbiage, mais les plus gros parmi les plus gros des enculés capitalistes de l'époque contemporaine.

 

Alors une autorité non mais laquelle mon gars ? Les élections le piège à cons ok, et après. Tout juste un ton autoritaire, et c’est tout. Juste la forme et pas le fond mais pourquoi. Alors une révolution mais tu rigoles. Réformer c’est déformer. Et puis quoi je suis pas tout seul et on les a tous ensemble et séparément les souvenirs La Boétie le syndrome de Stockholm et l’expérience de Milgram. Alors marcher je préférerais pas tu vois. Pas tout de suite en tous cas. Pas tout de fuite en avant comme ça sans réfléchir et sans rien. Pas que j’aime pas marcher juste qu’entre nous je sais pas encore si ça peut. Marcher tu comprends moi je me comprends au moins. Et puis quoi on n’est pas marié que je sache. On n’est pas encore marqué. La tache au front comme l’étoile du Berger. La trace au fer bleu le tatouage fleurdelisé. Je l’aime pas tout ce battage. Je l’aime pas ton abattage ton abattoir et tes brides abattues. Au pur-sang je préfère le cheval de trait. On n’est pas des bœufs quand même. Pas des ânes non plus. Pas si bête que ça si. Rien que des figurines dans ta crèche. Faudrait dire amen alors t’offrir l’or la myrrhe et l’encens puis quoi encore. Merci qui merci patron. Merci Macron. Merci sauf que non merci j’ai rien demandé j’ai rien.

 

Alors toi tu dis En Marche mais tu vois je crois que je vais pas y aller. Je crois que je vais pas très bien d’ailleurs et que je vais rester là pour le moment. Là sur la rive alanguie la berge boueuse la limite dépassée la frontière morale la marge du texte les marches du royaume le quai des brumes le qui-vive intempestif. J’ai besoin d’apaiser ma colère. J’ai besoin de me soigner en même temps du choléra rouge et de la peste noire. C’est pourquoi c’est parce que je vais rester là sur le bord du chemin avec mes risques mes périls et mes restes. Là pour mieux me ronger le sens et les sangs tel le primitif après le passage des bêtes féroces. Là pour sucer l’ultime moelle des os. Là pour lire à travers les crânes ouverts. Là sur le tas des ruines avec les rats d’égout les chats sauvages et les chiens harets. Le stop et le ça suffit. La touche pause. La cause toujours tu m’intéresses. Parce qu’au final ça fait mal tout ça. On s’en rend peut-être pas bien compte à cause du bruit ambiant du bazar du bavardage et du « on » justement. Mais oui ça fait mal. Tous ces mots qui partent en fumée. Tous ces chiffres scélérats et tous ces cris perdus. En vérité il est temps que je prenne soin de mes pieds tu comprends. Me les faire longuement masser me faire les ongles me prendre un bain tiède et salée et parfumé au mille fleurs. En vérité c’est vrai que tout ça c’est ma faute à moi mes syllabes et mes pieds. Je me suis trop laissé aller. Le poison finit toujours par se mêler au sang des blessures et c’est vrai j’avoue j’en ai bavé j’en ai soupé j’en ai assez de la politique-spectacle de la politique-marchandise et finalement de l’apolitique tout court dont tu es l’ostensible enfant-roi Larvatus. Il paraît que Dieu même est avec toi. Énième monarque adoré sur son trône. Énième énarque adossé à des primes.

 

Si tu savais comme je suis fatigué. Tellement de toi déjà fatigué, à peine quelques mois après ta misérable élection (le président le plus mal élu de notre histoire non ?). Si fatigué que je me sente bête et que j’en suis désolé. Que cette bêtise me fatigue autant qu’elle m’encourage à dormir. C’est déjà trop de toi de ta femme de ta famille de ton histoire de ta story c’est déjà. Trop tes officielles trop tes photographies. Trop ton image léchée ton service de Com obamisé. Trop tes chrysobulles et la pourpre cardinalice tapissant le fond de tes pompes en marque choisie et en marche cramoisie. Je te dis juste que j’aime pas qu’on me donne des ors ni des ordres ni des ordonnances c’est tout j’ai le droit j’ai voté j’ai payé j’ai signé pour à la naissance j’ai. Et c’est pas beaucoup c’est pas cher payé pour toi t’avoueras.

 

Alors oui j’ai bien compris tu dis et tu répètes En Marche mais moi je prends pas. Je laisse je passe et j’attends pour voir. Parce qu’au vrai qui ne l’entend pas le message subliminal. L’en marche déposée l’en marche de fabrique l’en marche de voiture le produit de marche et l’image de marche à vos marches prêts partez plus personne ne bouge. On nous l’avait bien dit naguère que ni Dieu ni César ni Tribun et qu’il n’est pas de sauveur suprême ou bien. C’est moi c’est nous c’est foutu tu dis quoi ? (une ombre passe rapide sur son visage comme d’un augure l’empreinte vélivole et noirâtre). Alors juste une chose alors. Non, non, et non ! Tout ce qui sort de ta bouche, ton cerveau, ton ambition n'est pas systématiquement plaqué or. Et non, je ne suis pas, nous ne sommes pas de la boue sur tes chaussures. Alors En Marche ! Eh quoi, si je veux pas…